
Le burn-out, on en entend parler de plus en plus mais se rendre compte qu’on le vit est encore différent. Philippe a compris de quoi il en retournait lorsqu’il a vécu un double burn-out : un parental et un professionnel.
Depuis trois ans, ce mal-être était latent. Il ressentait une profonde fatigue et il avait moins de patience. Tout semblait progressivement l’agresser, les bruits environnants, les bavardages de ses collègues, la moindre demande était perçue comme un ordre. Il avait l’impression d’être constamment sous pression, et de devoir tout faire lui-même pour que les choses soient bien faites. Pour faire face à tout cela, Philippe prend des vitamines et des comprimés homéopathiques pour tenter de se calmer et de récupérer un peu de cette fatigue omniprésente. Ceux-ci ne produiront aucun effet. Sans s’en rendre compte, il devient aussi plus distant avec les gens qu’il aime, s’isole et les petits et grands plaisirs de la vie n’ont plus d’intérêts pour lui. Philippe a l’impression d’avoir vieilli de dix ans. Puis, pendant le confinement imposé par la crise sanitaire, tout a surgi à la surface. Papa d’un enfant de trois ans, il devient encore plus irritable, colérique et les larmes ne cessent d’embrumer ses yeux, il perd pieds et n’arrive plus à contrôler ses émotions et à prendre de la distance par rapport à la vie.
Son emploi dans la presse requière de la flexibilité, de la discipline et beaucoup de rigueur. Il pense qu’il n’a pas le droit à l’erreur par rapport à l’information donnée aux lecteurs car il en va de la crédibilité du journal et de sa survie. Seulement voilà, gérer à la perfection, durant le confinement, son activité professionnelle et un jeune enfant qui demande de l’attention, le craquage mental était inévitable. Les hormones du stress et de l’angoisse saturent maintenant pleinement son cerveau.
Le psychique et le physique ayant atteint leurs limites, Philippe se retrouve alors incapable de faire quoique ce soit. À ce stade, il devient urgent de se faire aider par un médecin. Celui-ci le met en arrêt maladie pour reprendre des forces et rééquilibrer ce chaos hormonal auquel il fait face. En parallèle, il est suivi par une psychologue spécialisée dans le burn-out, avec laquelle il se sent en confiance. Cette relation est importante car après un rendez-vous chaotique chez une psychiatre, il sait à ce moment qu’il a besoin avant tout de bienveillance pour se relever et pour comprendre les mécanismes comportementaux qui l’ont amené à cet état.
Le cheminement de Philippe prend du temps et pour cause, il s’est oublié pendant de nombreuses années. Après le décès de son père à l’âge de vingt-quatre ans, il a dû s’occuper seul de sa maman handicapée. Il prend en charge la gestion de ses affaires et tout ce qui peut l’aider à vivre de manière semi-autonome et en bonne santé dans son appartement. Il fait ce qu’il estime être son devoir filiale durant treize longues années, en mettant sa propre vie au second plan. C’est lorsqu’il rencontre sa compagne qu’il décide de vivre sa vie et met en place des services d’assistance à domicile pour pouvoir se décharger en partie de ses responsabilités. Cette période a été pendant longtemps une source d’angoisse et de stress permanent. Par la suite, le placement de sa mère en maison de repos et la vente de l’appartement familial ont été également très éprouvantes à tous niveaux. À présent, Philippe se consacre pleinement à son cocon familial. Avec le recul, il sait que cette expérience a fait de lui l’homme qu’il est aujourd’hui : un homme prévenant et empathique.
Au fur et à mesure qu’il avance, Philippe comprend aussi que c’est toute son éducation qui est remise en question. S’il en est arrivé à être perfectionniste et à toujours se mettre la pression, c’est aussi parce qu’il voulait plaire à ses parents. Il faisait donc la course à la réussite pour obtenir leur reconnaissance, ne pas les décevoir et bien évidemment, acquérir leur amour.
Durant son travail réflexif, Philippe, sa femme et son fils partent en vacances à l’étranger, dans sa belle-famille. En réalité, il est un peu réticent à l’idée de partir car il ne souhaite pas faire profiter ses proches de sa mauvaise humeur. De guerre lasse, il choisit d’y aller quand même. C’est alors que ce séjour va être pour lui révélateur. En plein cœur des montagnes, Philippe se connecte à la nature. Il écoute le chant des oiseaux, le bruit des feuilles… Dans ce lieu empli d’histoire, il ressent une forme de sagesse. Ce qui le traverse est assez mystique mais il commence à y voir plus clair et revient ressourcé de son voyage. Il a toujours aimé dessiner et il a d’ailleurs fait des études dans ce domaine. Sa passion, il a dû la mettre de côté lors du départ de son père car il souhaitait s’assumer financièrement, c’est pourquoi très vite il s’est trouvé un emploi dans la presse. Ce milieu l’a en partie coupé de sa vie sociale car il n’avait plus beaucoup de temps pour sortir et une autre partie de son temps libre était aussi consacré à sa mère.
Revenu de vacances, Philippe renoue pleinement alors avec sa passion du dessin qu’il pratique maintenant tous les jours. Le dessin est pour lui devenu une partie de sa thérapie et l’aide à reprendre pied. C’est comme une méditation et une manière de s’auto-valoriser. Il noue contact avec des passionnés du crayons comme lui sur des forums dédiés. Par ce biais-là, il sent la force que cette communauté lui procure. À ce stade, il envisage sérieusement de réorienter sa carrière pour pouvoir vivre pleinement de sa passion. Certes, il quittera la sécurité d’un emploi de salarié pour un statut d’indépendant mais il se laisse le temps de voir ce que cela donnera. Il sait d’ores et déjà qu’une page importante de sa vie est en train de se tourner. Même s’il ne sait pas encore ce que l’avenir lui réserve, Philippe retrouve aujourd’hui les petits plaisirs de la vie : manger dans un bon restaurant, aller au musée, prendre des photos pour ses prochains croquis…
Bien sûr, la guérison d’un burn-out est faite de hauts et de bas. Pour autant, le fait de reprendre du plaisir, de s’affirmer sur sa voie d’artiste et de poursuivre son travail réflexif pour abandonner ses croyances limitantes est prometteur pour la suite de son parcours.